Acteurs du « neuf » vs acteurs du « vieux » : qui va gagner le match de l’occasion ?

Le retail a, lui aussi, connu en 2020 une seconde vague : celle du commerce des produits d’occasion, véritable lame de fond. Jusqu’à présent, cette offre commerciale du marché de l’occasion était le monopole d’une poignée d’acteurs spécialisés bien connus : e-Bay, LeBonCoin, Vinted, Alibaba Fish Idle, ThredUp, Vestiaire Collective, TheRealReal… Ces acteurs du « vieux » s’étaient développés au cours des 15 dernières années.

Le marché de l’occasion, un secteur en renouveau

2019 & 2020 ont vu l’entrée massive des acteurs du « neuf » sur ce marché. Ikea, Walmart, Carrefour, Zalando, H&M, pour ne citer qu’eux, ont commencé à vendre des produits d’occasion. L’enjeu est alors de capter les bénéfices réalisés par les acteurs du vieux sur leurs propres produits.

Le vocabulaire a évolué : oubliés, les termes « occasion », « seconde main ». Bienvenue à des dénominations plus valorisantes mais aussi plus représentatives, telles que « seconde vie », « seconde histoire », « seconde chance ».

marché de l'occasion
Sources = BFM Business « Innover pour le commerce » 15/02/2020 Mme Hélène Janicaud, directrice du pôle mode chez Kantar ; Thredup

Sur le marché français de la distribution, l’offre de produits d’occasion est présente dans 15 des 25 premières enseignes. La tendance est similaire à l’échelle mondiale, avec 6 des 10 premiers distributeurs qui ont investi cette offre. Le numéro 1 Walmart a lui-même lancé son offre, en partenariat avec ThredUp, en mai dernier.

Depuis début 2020, ce marché de l’occasion s’envole. Les distributeurs classiques font tous face aux mêmes enjeux commerciaux : profiter d’un marché qui explose, proposer une offre qui séduit de plus en plus de consommateurs, renforcer leur engagement sociétal et améliorer leur image.

Voici un tour d’horizon réalisé par l’équipe Pixis conseil à partir d’un benchmark international, et notre analyse de ce marché à forte croissance.

Les différentes options opérationnelles des retailers

En lien avec son ADN, l’enseigne va définir trois curseurs : le modèle de distribution, le niveau de services proposés et le niveau d’incitation des clients.

Premier curseur : le modèle de distribution au croisement du canal et du sourcing

Trois formats sont utilisés.

C2C
Customer to Customer
Le distributeur met en relation les clients qui commercent entre eux via une plateforme online dédiée, mise gratuitement à disposition
C2B2C
Customer to Business to Customer
Le distributeur est l’intermédiaire de la vente. Il s’appuie lui aussi sur une plateforme online et est souvent enrichi par de nombreux services
B2C
Business to Customer
Le distributeur achète et revend un stock de produits d’occasion. Il n’y a plus de lien direct avec le client vendeur initial du bien. L’offre est commercialisée via un site e-commerce et/ou des corners en magasins

Premier canal observé historiquement, le C2C est aujourd’hui en perte de vitesse. Le canal suivant est appelé C2B2C. C’est celui des acteurs historiques du marché de l’occasion, et aujourd’hui le plus adopté par les acteurs du neuf. Enfin, le dernier est le classique B2C, online et/ou offline, qui se développe également.

Le distributeur a ensuite plusieurs solutions de sourcing :

  • le rachat en magasin : Service Buy Back service d’Ikea, corner Carrefour Occasion (en partenariat avec Cash Converter)
  • le rachat online, mode d’approvisionnement, utilisé par Zalando, Aigle
  • la revente de produits retournés, produits de démonstration, c’est le cas de l’offre de Boulanger Second Life et de Darty Occasion ; la revente de produits précédemment mis en location, solution de la marque Bocage.
  • dernière formule qui se développe fortement : l’approvisionnement en produits d’occasion par un grossiste-prestataire. C’est celle retenue par Kiabi et par Gémo pour leurs corners magasins approvisionnés par Patatam, idem pour Cdiscount pour son rayon en ligne. L’offre Walmart est, elle, alimentée par ThredUp, leader américain.

Deuxième curseur : le niveau de services

Une fois son format cible identifié, le distributeur doit alors sélectionner les services à proposer en réponse aux enjeux stratégiques définis. Ceux-ci sont multiples :

  • collecte en point de vente physique
  • contrôle d’authenticité et/ou de qualité
  • publication de l’annonce facilitée à partir de l’historique d’achat du client vendeur
  • des frais d’expédition négociés et une édition des documents clés en main pour le client expéditeur
  • retour et remboursement
  • sécurisation de la transaction financière
  • choix entre plusieurs modes de rémunération (numéraire, virement, bon d’achat…)

Des personnalisations complémentaires ont été observées : l’accès à la mise en vente peut être réservé aux clients inscrits au programme de fidélité. Et la mise en vente peut être restreinte uniquement aux produits de la marque.

Troisième et dernier curseur : le niveau d’incitation destiné aux clients

L’objectif est de les motiver à revendre et/ou acheter les produits d’occasion proposés par l’enseigne. Les politiques d’incitation sont très hétérogènes. Chaque enseigne a positionné le curseur à sa façon. Par exemple :

  • abondement du CA de 25% jusqu’à 50% quand le client vendeur choisit la rémunération en bon d’achat,
  • bons d’achat offerts aux clients acheteurs (autour de 20% en général),
  • don à une association, en lien avec l’engagement de l’enseigne,
  • alignement sur les incitations offertes sur les achats de neuf.

Les bénéfices et enjeux pour les retailers

Il est encore tôt pour confirmer la rentabilité des différentes offres développées par les acteurs du « neuf » mais les avantages sont aujourd’hui clairement ciblés.

  • déclenchement de CA additionnel avec les bons d’achat
  • génération de trafic additionnel en lien avec le dépôt et la collecte de colis en magasin
  • recrutement de nouveaux clients qui vont réaliser, via un produit d’occasion, leur entrée dans la marque
  • apparition d’un Feel Good Factor chez le client, et le salarié, renforçant l’attachement à la marque
  • attractivité et fidélisation renforcées, l’enseigne étant en phase avec les nouvelles attentes des clients en favorisant leur pouvoir d’achat et encourageant une utilisation responsable et durable des produits
  • positionnement complémentaire pour la marque : elle devient une marque aidante, en permettant à des clients novices d’accéder facilement à la vente d’occasion et en la sécurisant pour les habitués
  • pour certains secteurs, valorisation complémentaire des produits neufs grâce à un prix de revente facilement identifiable
  • bilan RSE amélioré

Mais plusieurs points de vigilance sont à considérer lors de la mise en place de cette offre.

  • la sécurisation de l’approvisionnement : un volume minimal et des produits renouvelés sont des facteurs clés de succès.
  • une intégration claire et lisible pour le client de l’offre d’occasion dans le dispositif omnicanal actuel, avec un cross-branding et un cross-merchandising particulièrement travaillés
  • la bonne prise en compte de marges plus faibles dans le modèle commercial actuel du distributeur
  • la nécessité de développer des compétences internes pour authentifier la marque et contrôler la qualité

Un match à suivre pour le futur du marché de l’occasion

A noter que les enseignes du « neuf » ne sont pas seules, aujourd’hui, pour se lancer sur ce marché. En plus d’un accompagnement stratégique, elles peuvent désormais sous-traiter tout ou partie de cette activité à des prestataires techniques. Des solutions de plateformes C2C ou C2B2C en marques blanches, des corners physiques clés en main, du sourcing de produits, des prestations logistiques dédiées ou une aide à l’authentification sont aujourd’hui disponibles.

Face à cette vague de nouveaux entrants, plusieurs acteurs du « vieux » ont revu leurs modèles et mettent en place une stratégie omnicanale, développant des relais ou points de vente physiques. C’est Fashionphile qui a ouvert des corners dans certains magasins américains de son actionnaire, Neiman Marcus. Secoo, le leader chinois, continue d’ouvrir ses Experience Centers dans le monde entier. Et même, e-Bay lance quelques points physiques permettant l’estimation et le rachat de produits.

Match à suivre !!!

Ce qui est certain, c’est qu’en 2021, le commerce tournera encore plus rond.