Quel business model pour une mode plus durable ?

vêtements sur un portant

A l’heure des soldes, l’équipe Pixis Conseil s’interroge sur l’impact des préoccupations environnementales & RSE sur l’univers du textile de demain.

Où en sommes-nous du positionnement des acteurs traditionnels ? Quelles sont les transformations possibles pour faire évoluer les business model vers une mode plus durable ?

La fin du modèle traditionnel du textile ?

Traditionnellement : pour être rentable, le mot d’ordre de tout secteur est la maîtrise des coûts. Dans le textile, il est courant d’avoir des marges brutes allant de 65% à 90% selon la gamme de produits[1]. Baisser ses coûts offre la possibilité de se différencier par le prix pour être attractif, tout en préservant la marge. Les enseignes se sourcent donc souvent dans des zones où le coût du travail et de la production sont les moins chers. En poussant le modèle, le marché est entré dans un cercle vicieux : entre surproduction, facilitée par des économies d’échelle via la production de masse, et surconsommation. Souvent au détriment des considérations qualitatives des produits, éthiques et environnementales.

L’univers du textile est désormais au cœur des débats médiatiques. Scandales éthiques – effondrement du Rana Plaza, travail forcé des Ouïghours –, impacts négatifs plus que prouvés sur l’environnement, fermeture en cascade d’enseignes historiques… Autant de sujets qui interrogent notre société et son modèle de consommation. Le business model gagnant habituel, avec ses collections toujours plus nombreuses fabriquées à moindre coût, semble donc avoir du plomb dans l’aile. Avec pour autant des contradictions éclatantes, en témoigne le succès incroyable de Shein, au cœur de nombreuses polémiques.

L'impact de l'industrie textile
100 milliards de vêtements vendus par an dans le monde
4 millions de tonnes de textile jetés par an en Europe
4 milliards de tonnes d'équivalent C02 générés par an

Infographie de Pixis Conseil
Source = Ademe

La remise en cause du système

Une évolution des mentalités

Ce modèle traditionnel est donc largement remis en cause aujourd’hui, notamment par une évolution progressives des mentalités côté client final. 80% des consommateurs français affirment désormais vouloir prendre en compte l’impact environnemental de leurs achats[2]. La gen Z et les millenials représentent 2/3 des dépenses de la seconde main, marché dont la croissance explose et devrait doubler d’ici 2027[3]. On attend désormais davantage d’une marque qu’elle défende des valeurs auxquelles on s’identifie. Ainsi, 6 Français sur 10 se disent prêts à boycotter une marque qui ne produit pas de vêtements équitables[4]. Une forme de prise de conscience collective s’impose peu à peu, obligeant les retailers à considérer ces signaux forts pour réinventer le futur de leur industrie.

Labels et régulations

Les initiatives pour apporter du sens à la production ne manquent pas. Beaucoup de labels et d’indicateurs co-existent aujourd’hui pour promouvoir un produit ou une marque comme vertueuse ou engagée. Ecocert, GOTS, Oeko-Tex 100, Origine France garantie, PETA, Fair Wear foundation… Autant de sigles qui – s’ils ont le mérite d’exister – ne sont pas toujours lisibles pour le client. Un travail d’explications important est encore à fournir. Et surtout, leur utilisation ne repose que sur un engagement spontanée d’une enseigne… qui parfois se réduit à une gamme ou un simple modèle de produits.

Quasiment aucun textes de lois de régulation n’existaient concrètement jusqu’il y a peu.. La stratégie de l’UE pour des textiles durables et circulaires[5],  adoptée le 31 mars 2022 par la Commission Européenne, prévoit de réguler d’ici 2030 de manière stricte l’ensemble des produits textiles vendus sur le territoire européen. A noter également qu’au tout début du mois, les eurodéputés se sont largement prononcés en faveur d’une directive contraignant les multinationales à respecter les droits humains et environnementaux sur l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement. Un signal fort, qui montre l’étendue des contraintes à venir pour les acteurs du textile.

Un business model durable pour la mode : que mettre en place concrètement ?

Parmi les entreprises qui ont relevé leurs manches face à cette prise de conscience, différentes approches sont explorées pour faire bouger les lignes.

Une production rationalisée

Bien entendu, le modèle de la production en énorme quantité est l’un de premiers leviers sur lesquels les actions peuvent se concentrer. Limiter la fréquence des collections est un sujet qui revient fréquemment sur le devant de la scène, notamment par les DNVB qui vont par exemple revenir sur la notion d’intemporels. Une autre piste qui se développe est la pré-vente, pour ne produite que ce qui est commandé. Enfin, certains acteurs prennent également le parti de ne plus faire de soldes, afin de limiter l’attractivité du système de promotions.

Ecoconception & recyclage

On pensera bien entendu au développement de collections intégrant des matières certifiées, qui sont sur le marché depuis déjà un moment. Mais l’écoconception est une notion au cadre plus large, portant sur l’ensemble du cycle de vie du produit et intégrant sa durabilité et sa réparabilité. Les défis autour du recyclage prennent également un tournant. La collecte de vêtements en magasin n’est pas un sujet nouveau, mais l’enjeu est désormais de la développer à plus grande échelle. Et de travailler sur d’autres axes, comme par exemple privilégier le travail en monofibre pour faciliter le recyclage du produit. Et bien entendu, le développement d’une offre de seconde main. Mais aussi les réflexions autour de l’upcycling de son stock par exemple.

Repenser sa fabrication

Clairement, l’impact de la production sur l’empreinte carbone de l’industrie de la mode est phénoménal, notamment avec le transport. Réimplanter sa production au plus proche de son pays de vente est une option réelle pour réduire son impact environnemental. Et cela a également des effets sur la réduction des coûts de transport ainsi que sur une agilité et une réactivité sur son marché ! Dans d’autres cas, des entreprises font le choix de faire évoluer la technologie pour utiliser des modèles 3D afin de limiter l’échantillonnage, aussi coûteux en émissions carbone qu’en frais d’envoi. Sur le plan éthique, prouver la transparence des origines et s’engager sur un suivi rigoureux de ses sous-traitants est désormais un vrai sujet pour le client. La fabrication durable est en tout cas un sujet particulièrement épineux, qui doit arbitrer entre besoin de savoir-faire, capacité de production & bien entendu les coûts associés.

Un challenge pour l’avenir

Ce sont donc autant de pistes qu’explorent actuellement les acteurs de la mode et des partenaires engagés. Par exemple le Fashion Green Hub, qui propose un réseau d’entraide et de partage pour les entreprises afin d’échanger autour d’actions concrètes. Ces initiatives encore clairsemées doivent rapidement se structurer, faire la preuve de leur durabilité mais aussi in fine de leur rentabilité. Et surtout évoluer vers plus de cohérence et d’adéquation profonde avec l’univers de la marque.

C’est tout un système qui doit donc s’adapter vers un business model de mode durable pour satisfaire ce nouveau barycentre entre attentes des clients, contraintes de la réglementation… et équilibre financier ! Un challenge d’envergure pour les décennies à venir.


[1] « Vêtements : Dans le prêt-à-porter, on vous fait payer les effets de mode », Capital.fr

[2] « Secteur du textile : impact environnemental et réglementation », ClimateSeed

[3] Resale report, ThredUp 2023

[4] Sondage Max Haavelar France/Opinion way, 2021

[5] EU strategy for sustainable and circular textiles