Vers la fin des prospectus papier

Assiste t-on à la fin du prospectus papier ? Ce moyen de communication a longtemps symbolisé la stratégie de communication de la grande distribution, qui édite 90% de ce type de publicité. En France, 766 700 tonnes de prospectus sont distribués par an, soit 25 kilos par foyer1 ! Les prises de consciences citoyennes ainsi que le coût de cette pratique tendent aujourd’hui à le faire disparaitre de nos boites aux lettres.

Une tendance forte

En septembre dernier, les magasins E.Leclerc ont arrêté la distribution de prospectus non adressés dans les boîtes aux lettres partout en France. Une prise de position d’envergure de la part du leader français de la distribution, qui s’inscrit néanmoins dans une tendance de fond chez les acteurs du secteur. Franprix & Monoprix avaient déjà annoncé la couleur en 2019, Cora a sauté le pas en début d’année en bannissant à 100% les imprimés aussi bien en boîtes aux lettres qu’en magasin… Et les initiatives des autres groupes ne manquent pas pour diminuer drastiquement ce mode de communication et notamment accélérer la numérisation des catalogues.

Bien entendu, ces décisions des grands acteurs de la distribution interviennent dans un contexte global défavorable au prospectus papier. Depuis plus de 20 ans déjà, les autocollants Stop pub fleurissent sur les boites aux lettres. Une initiative citoyenne, portée initialement par des associations environnementales, qui doit aujourd’hui être obligatoirement respectée par les sociétés de distribution. La loi Climat et résilience va désormais plus loin, avec l’expérience Oui pub qui depuis 1 an interdit par défaut la distribution d’imprimés publicitaires, sauf si les consommateurs ont collé sur leur boîte aux lettres la mention explicite « Oui pub ». Une mesure testée sur 14 territoires et pilotée par l’ADEME qui montre déjà que la majorité des ménages de ces zones ont choisi de ne plus recevoir d’imprimés publicitaires.

Les prospectus face à la prise de conscience écologique

Car clairement, cette accélération de la fin du prospectus papier non adressé s’inscrit dans un contexte où les consommateurs sont de plus en plus attentifs aux enjeux de développement durable. Abattage d’arbres, utilisation de techniques et d’encres parfois controversés, recyclage limité, transports polluants… En termes d’image, les réticences des populations face à l’impact des prospectus sont de plus en plus marquées. Difficile donc pour les acteurs de la distribution d’ignorer ces signaux forts de la part de leurs clients, qui attendent de leurs enseignes préférées des engagements concrets.

D’autant qu’il est impossible de nier le poids de ce media en terme de gaspillage. 44% des Français déclarent jeter ces publicités à la poubelle sans y avoir jeté le moindre coup d’œil2… Un non sens écologique complexe à assumer pour les émetteurs. Les premiers résultats du test Oui pub montrent d’ailleurs clairement une baisse significative de la part des imprimés publicitaires dans les déchets. Dans l’agglomération d’Agen par exemple, on retrouve désormais seulement 8 tonnes de prospectus dans les bacs de tri sélectif, versus 64,4 tonnes avant la mise en place de l’expérience3.

L'impact des prospectus en France :
- 766700 tonnes de prospectus distribués par an
- 25 kilos par foyer par an
- 44% est jeté sans même être lu

Des coûts de plus en plus élevés

Mais au-delà de la question de la pollution, un sujet crucial amène les acteurs à reconsidérer la production de prospectus papier. A savoir l’explosion des coûts associés à la production. L’inflation a touché la production de papier, les prix de production ayant augmenté de 85% en 2022. Et il ne s’agit pas que du papier, car la production de prospectus nécessite également énergie, eau, transport… Autant de domaines qui ont eu aussi leurs lots d’augmentations successives ces derniers mois.

Face à cette situation, l’impact des prospectus est à réévaluer face à l’investissement. Avec un coût de revient d’environ 20 centimes, le budget qui est consacré au prospectus chiffre vite, jusqu’à des centaines de milliers d’euros pour un hypermarché. Si le prospectus est traditionnellement rentable, peut-il rester compétitif si son tarif à l’unité explose alors même qu’il ne cible pas avec une grande précision ?

Un risque commercial ?

Pour autant, signer la fin du prospectus papier représente une gageure commerciale. Car si les Français ont habituellement une image globalement dégradée de la publicité, la publicité en boite aux lettres reste pour autant celle qui est le plus appréciée à 48%, et 1 personne sur 2 déclare y accorder de l’attention. Encore mieux : 60% des Français considèrent les catalogues et les prospectus comme utiles !4 Une constatation qui montre à quel point ce media est implanté dans le quotidien des Français, qui jugent pour autant très négativement leur impact environnemental. Un paradoxe à avoir en tête dans cette période charnière d’évolution.

L’attrait du « bon plan » reste fortement associé à ce media, dont le pouvoir de drive-to-store n’est plus à démontrer. 1 Français sur 3 (31%) déclare faire ses courses en fonction des prospectus reçus selon une étude du cabinet Nielsen IQ de décembre 2022. Et dans les zones rurales, il reste un support apprécié pour pouvoir comparer les offres des différentes enseignes avant de se déplacer comme le rappelle Dominique Schelcher, président de Système U5. Quel avenir pour la visibilité des promotions si la fin des prospectus se confirme ?

Des Français encore attachés aux prospectus :
- 48% apprécient la publicité en boite aux lettres
- 60% considèrent les catalogues et prospectus comme utiles
- 31% déclarent faire leurs courses en fonction des prospectus reçus

Fin du prospectus papier, et après

Des solutions digitales…

Bien entendu, la fin du prospectus ne signe pas la fin des mises en avant ! Les enseignes ont besoin de faire connaitre l’actualité de leurs rayons d’une nouvelle manière. Dans les pistes explorées, le digital tient une place centrale. Dans une version digitalisée et interactive, ces catalogues et prospectus se retrouvent d’ores et déjà sur les sites ou app de nombreuses enseignes, sur leurs réseaux sociaux ou sur des supports spécifiques comme Bonial ou Tiendeo. Une partie des budgets marketing se retrouve également déjà vers la publicité en ligne. Une stratégie qu’on sait efficace, pour aller chercher des audiences affinitaires pour des promotions ciblées. Et qui permet un pilotage du ROI plus fin.

… mais pas seulement !

Pour autant, l’impact environnemental de ce glissement vers le digital n’est pas encore évalué, et sera donc à monitorer de près. Et il ne faudra pas oublier la réalité de la fracture numérique, un passage au tout digital couperait la grande distribution d’une partie de sa clientèle. Cette nouvelle ère est donc l’occasion pour chaque enseigne de réinventer les basiques : travailler la fidélité & l’animation magasin, éléments clefs pour maximiser l’impact des promotions. Et bien entendu, le catalogue ou prospectus désormais adressé, qui lui n’est pas prêt de tourner la page et risque même de connaitre une nouvelle vigueur.


1 Actualisation 2021 des flux de produits graphiques en France, Ademe

2 Chiffres clés et évolution du Stop pub, Ademe

3 Expérimentation Oui pub : des premiers résultats tangibles, Ademe

4 Les Français et la publicité & Accueil de l’expérimentation Oui pub, étude Toluna Harris Interactive & Pub audit, 2023.

5 Dominique Schelcher (Système U): « Le prospectus, c’est bien plus que du papier! » – LSA conso – 20/12/2022